La spectaculaire métamorphose du président de la FNSEA, Xavier Beulin

Xavier Beulin - FNSEA     …   Et le gouvernement tint parole. Pour mener sa campagne de désintoxication des campagnes, il s’inspira de la politique menée au début des années 1960 par le Premier ministre Michel Debré, dont la loi de programmation agricole avait alors visé à « faire disparaitre la petite exploitation familiale [et à] encourager le départ des ruraux de la terre, [afin de] constituer des exploitations de taille rentable adaptées au marché », ainsi que l’avaient raconté les historiens Serge Berstein et Pierre Milza. Pour cela, on n’avait pas lésiné sur les moyens : réforme de l’enseignement agricole, formation des techniciens des chambres d’agriculture aux vertus de la chimie, prêts à taux préférentiels pour pousser les paysans à se « moderniser », organisation des « filières ». Bref, on avait mis le paquet et ça avait marché… L’idée de Francois Hollande et de son ministre de l’Agriculture était d’utiliser les mêmes moyens, mais pour un objectif inverse ! «Sur qui allons-nous nous appuyer ? » demanda le président, dans un tête-à-tête historique qu’il a rapporté dans son livre « Comment le 19 Avril a changé ma vie ». Plus d’un demi-siècle auparavant, Michel Debré et son ministre Edgard Pisani avaient eu le soutien du Centre national des jeunes agriculteurs.  « On peut demander à Xavier Beulin de nous aider », avait suggéré Stéphane Le Foll. « Beulin? », s’était étonné le président, en faisant les yeux ronds. Et on comprend à posteriori sa perplexité. A cinquante six ans, Xavier Beulin était alors président de la puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). Il exploite une ferme de 500 ha dans le Loiret et dirigeait Sofiprotéol, un groupe agroindustriel pesant 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013 et leader dans les biocarburants, les huiles végétales (Lesieur) et la nutrition animale. Celui qu’on comparait à Napoléon et qui avait déclaré que « les biotechnologies, c’est l’avenir de l’agriculture biologique » avait le pouvoir de bloquer la « nouvelle révolution agricole » sur un claquement de doigts… « C’est un businessman et, s’il sent que le vent a tourné, il suivra le vent, avait dit Stéphane Le Foll, qui connaissent bien le personnage. Et puis il a quatre enfants, qui ne seront pas épargnés par l’effondrement… »
On ne sut jamais précisément ce qui avait motivé la métamorphose de Beulin, mais elle fut spectaculaire ! Le patron de la FNSEA accepta de réunir ses troupes avec les dirigeants de Coop de France (qui regroupait toutes les Coopératives agricoles, soit 40% de l’agroalimentaire français, cumulant un chiffre d’affaires annuel de 80 milliards d’euros), de Limagrain (une Multinationale coopérative d’Auvergne, premier semencier européen), des chambre d’agriculture et du Crédit agricole ; bref, tous ceux qui s’enorgueillissaient d’avoir fait de la France la première puissance agricole d’Europe…
Le 21 février 2015, j’ai eu le privilège d’assister à cet incroyable rassemblement qui inaugurait le Salon international de l’agriculture à la  Porte de Versailles à Paris, grâce à Stéphane Le Foll qui m’avait personnellement invitée.
« L’agriculture est à la croisée des chemins avait commencé Xavier Beulin sur un ton aussi solennel qu’inhabituel. Nous ne pouvons pas continuer à ignorer les multiples crises qui menacent la stabilité du monde. Or le système agroindustriel que nous représentons, loin de les atténuer, au contraire les accélère: il est responsable de 14 % des émissions de gaz à effet de serre, à cause de nos pesticides et engrais chimiques, fabriqués avec du gaz et du pétrole ; à cause aussi de nos engins agricoles et du transport de nos produits sur de longues distances. Pour chaque calorie alimentaire produite, on estime qu’iI faut sept calories d’énergie. Et à ces 14 %, s’ajoutent les 19% dus à la déforestation, pratiquée pour développer des mono-cultures (comme le soja transgénique argentin, qui nourrit les animaux de nos élevages industriels) ou pour produire les biocarburants de Sofiprotéol. De plus, selon la FAO, l’élevage Intensif produit 18 % des gaz s effet de serre sous forme de méthane. Si l’on ajoute le protoxyde d’azote, un gaz trois cents fois plus réchauffant que le CO2, que dégagent nos sols nus surazotés, alors notre bilan est catastrophique !
Nous devons changer de modèle agricole, d’autant que nous allons souffrir durement des effets du réchauffement climatique. D’après plusieurs études, dont l’une de nos amis de l’INRA, l’augmentation des températures et des précipitations de 1980 à 2008 a fait chuter les rendements moyens du blé et du maïs respectivement de 5,5% et 3,8 %. Il est clair que si la canicule de l’été 2003 devait  devenir la règle, nous devrons changer de métier, car nous n’aurons plus d’eau ! La part du secteur agricole dans la consommation mondiale de l’eau  atteint aujourd’hui 70%,  en raison de nos techniques d’irrigation. Nous ne pouvons plus gaspiller ce bien commun avec des techniques inadaptés. D’autant plus qu’au problème de la raréfaction s’ajoute celui de la pollution, particulièrement en France où la plupart des rivières et nappes phréatiques présentent des teneurs en nitrates et pesticides certitudes très inquiétantes. Arrêtons de nous voiler la face: vous savez que beaucoup de nos collègues sont malades à cause des poisons chimiques que nous déversons dans nos champs, ce qui coûte cher à la Sécurité sociale. Vous savez aussi que 23% des sol que nous exploitons sont compté érodés, pour ne pas dire « mort ». Il est clair que si nous devions payer pour tous les dégâts que causons, nous n’aurions plus qu’à mettre la clé sous la porte ! Il va donc falloir remettre tout le système à plat, en se préparant à la fin des subventions qui encouragent ces travers irresponsables.
– Tu vas vraiment renoncer aux subventions pour les biocarburants et à la ristourne de la taxe sur les produits pétroliers qui ont rapporté sofiprotéol, dixit la Cour des comptes, au moins 500 millions d’euros de 2005 à 2012? , l’a alors coupé un grand céréalier de la Beauce.
– Ouais, avait répondu Beulin. Le bilan carbone de mon biodiesel est désastreux, puisqu’il engendre deux fois plus de gaz à effet de serre que le gazole. Les écolos ont raison… »
Ces mots provoquèrent un vaste brouhaha dans l’assistance, que le président de la FNSEA interrompit fermement « De toute façon nous n’avons pas le choix. L’ère des monocultures et des grandes exploitations est révolue ! Car non seulement elles produisent beaucoup de gaz à effet de serre, mais elles sont aussi beaucoup beaucoup moins productives que petites fermes diversifiées, au regard des ressources consommées. Il n’ y a aucun doute là-dessus. D’ailleurs pour montrer l’exemple,j’ai décidé  de louer un dixième de ma ferme, soit 50 ha, à un groupement d’intérêt économique et environnemental, les nouveaux GIEE créés par la dernière loi d’orientation agricole, qu’il va falloir d’ailleurs complètement revoir. Désormais, la priorité doit être la transition vers l’agroécologie, la vraie, pas celle que nous avions vendue au ministre Le Foll pour l’embobiner ! Vous savez très bien que l’ « écologiquement intensif » était une embrouille pour vider l’agroécologie de sa dimension biologique fondamentale. Nous devons aussi revoir nos filières pour privilégier les aliments consommés par les humains et non par les animaux. C’est pourquoi il faut développer partout la production de fruits et légumes bios, à la campagne, mais aussi dans les villes car, avec le réchauffement climatique et la raréfaction des énergies fossiles, la France n’est pas à l’abri de graves pénuries alimentaires. »

1.    Serge BERSTEIN rt Pierre MILZA, Histoire de la France au XXème siècle, tome 4, 1958-1974, Complexe, Bruxelles, 1999, P154.
2.    Le CNJA était alors dirigé par Michel Debatisse, l’ancien secrétaire de la Jeunesse agricole catholique (JAC), dont mon père avait été l’un des représentants pour l’Ouest de la France
3.    Coralie, SCHAUB, « Agricultor », Libération, 17 mai 2011
4.    L’Agriculture à la croisée des chemins était le titre d’un document publié en2008, connu sous le nom de Rapport de l’IAASTD (International Assessment of Agricultural Knowledge, Sciences and Technology, <ur1.ca/ing5t>). Rédigé par la Banque Mondiale par quatre cents scientifiques internationaux, ses conclusions avaient été approuvées par cinquante-huit pays lors d’une conférence qui s’était tenue à Johannesburg en avril 2008.
5.    Depuis des décennies, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) avait largement soutenu en France le développement de l’agriculture chimique. Il a été rebaptisé en 2016 Institut national pour la recherche agroécologique.
6.    Le 24 janvier 2012, la Cour des comptes avait publié un rapport très critique sur la politique d’aide à la production des biocarburants (196 millions d’euros de subvention en 2011) en dénonçant la « situation de rente » de Sofiprotéol. Pour l’état, le manque à gagner était de 2,7 milliards d’euros entre 2005 et 2010 (voir Agnès Rousseaux, « Agrocarburants : un juteux business sur le dos de la collectivité », Basta!, 1er février 2012, <ur1.ca/ingru>).

Extrait de Sacré Croissance!  Le jour où François Hollande a compris qu’elle ne reviendra pas  de Marie Monique ROBIN, p179 à p183. Chapître : La spectaculaire métamorphose du président de la FNSEA, Xavier Beulin

Et suivre : La grande enquête sur le maître caché de l’agriculture française

Son nom est méconnu, mais ce groupe pèse aussi lourd qu’Areva. Agrocarburants, lait, oeufs, huile, finances, semences : il est partout, et influe d’autant plus sur l’agriculture française que son patron préside le puissant syndicat agricole devant lequel plient les gouvernements. Le résultat : profits d’un côté, disparition des petits paysans, artificialisation des terres et pollution de l’autre. Voici Avril-Sofiproteol. Une grande enquête de Reporterre. LIRE LA SUITE ICI  http://reporterre.org/La-grande-enquete-sur-le-maitre