À armes légales, nous ne sommes pas à armes égales, où comment on nous éduque à rester dociles
Momo la ficelle, la débrouilles, Nironimotte, vallée du Testet, 30 octobre 2014
Le 29 septembre 2014, barricade de Lascar au Testet, des gendarmes mobiles chargent. Un copain en première ligne reçoit un flashball, tiré à deux mètres de lui, dans la poitrine au niveau du cœur, une petite bouteille de vodka arrête le projectile. Dans le même mouvement, un autre GM lance une grenade offensive vers lui, il met son bouclier en opposition sur sa tête, elle explose sur le bouclier. Pour que tout soit très clair : s’il n’y a pas eu de mort à Sivens avant Rémi, c’est un miracle.
Depuis des années qu’on demande des débats, qu’on émet des réserves, qu’on dépose des recours en justice, puis qu’on occupe la vallée, pour empêcher les travaux parce que tout le reste ne fonctionne pas, ils répondent : « ta gueule ». C’est exactement ce qu’ils ont dit à Rémi le 26 octobre 2014 en lui retirant tout ce qu’il avait, et tout ce qu’il aurait pu avoir plus tard : « ta gueule ». Pour celles et ceux qui ne se contentent pas du « cause toujours », ce message de marchands d’esclaves est bien connu.
Thierry Carcenac déclare au Monde le 28 octobre « Il n’est pas possible que des gens violents imposent leur décision à tous les autres ». Mais c’est exactement ce qu’il fait depuis le début ! Dans ce pays, il y a quelques règles, on doit procéder à une enquête publique pour certains projets. Avec un avis d’enquête publique défavorable pour le barrage de Sivens, il aurait du abandonner le projet. Au lieu de cela, il a imposé sa décision par la violence.
Une mère et son garçon qui passent devant le chocolatier. Le garçon s’exclame qu’il faut acheter des chocolats. La mère réalise une enquête : elle examine la trésorerie, regarde quelle heure il est (est-ce qu’il est l’heure de manger des chocolats ?), si elle pourra aussi en offrir plus tard, bref. Finalement, elle donne un avis défavorable. L’avis d’enquête publique est défavorable… Mais le gamin se transforme en mauvais garçon, il bouscule sa mère, il tape l’argent dans son sac, il rentre dans le magasin et achète des chocolats, qu’il partage avec ses complices. Quand quelqu’un lui dit que c’est pas bien, le mauvais garçon avance le fait accompli: c’est trop tard pour reculer maintenant. C’est exactement ce que fait Carcenac avec le projet de Sivens : il se comporte comme un mauvais garçon. Où est le père ? Où est cet individu qui va lui mettre une bonne torgnole pour qu’il arrête, rende l’argent, s’excuse puis ne recommence pas ?
Le samedi 25 octobre 2014, vers 15h, j’ai descendu la vallée du Testet avec la manifestation menée par les brebis. Nous sommes allés voir les CRS postés dans l’enclos où, la veille dans la nuit, le générateur et la cabane en tôle avaient brûlés. Puis nous avons vu arriver une cinquantaine de personnes avec le visage masqué. Sur l’air de « si tu as la joie au cœur, tape des mains », ils ont chanté : « on défend la barricade avec des pierres, mais ça marche pas ». Et de taper des mains : « clap clap » ! Un chant enfantin, puéril, dérisoire. Mais qui se terminait ainsi : « on défend la barricade jusqu’à la mort ». On peut entendre ce chant sur la vidéo du groupe GROIX, curseur à 3’10 : https://www.youtube.com/watch?v=9n4BWYNcFrk
Le plus dur à supporter après la mort de Rémi, c’est cette tendance de quelques opposants au barrage à rejeter la faute sur des « casseurs », des « violents » tandis que les visages-pâles-masqués sont finalement les seuls à montrer l’exemple et foutre la bonne torgnole que mérite le mauvais garçon de Carcenac. Mais jusqu’à quand va-t-on continuer d’accepter de s’entendre dire : « cause toujours » et « ta gueule » de la part de ces politicards et ces militaires ?
Défoncer un distributeur de billet de banques dans les rues des villes n’est qu’un acte symbolique, sans conséquences, puisque les banques empochent des milliards de
bénéfices dans notre dos. C’est ce symbole qu’il faut casser. De même, lancer des pierres contre les gendarmes qui sont envoyés là pour permettre les travaux de dévastation d’une zone humide est purement symbolique. Certes, on peut se retrancher derrière le paravent ; « je suis contre toutes les formes de violences ». C’est beau sur le papier. Gandhi disait : « entre la violence et la lâcheté, je préfère encore la violence ».
Certes, les gendarmes aussi souffrent de cette situation où ils sont envoyés protéger des travaux de destruction d’une zone naturelle classée. Pour certains, c’est pas la première fois ! Plus on les accuse, plus ils se voient mauvais, plus ils sont mauvais avec nous. Et plus ils sont mauvais avec nous, plus on les voit mauvais, plus ils se voient mauvais, et ainsi de suite. Les germes de la violence ne peuvent que grandir si on ne cherche pas à arrêter de les alimenter, c’est un feu dans lequel on mettrait des bûches en permanence. Les gendarmes non plus ne doivent pas devenir des bouc-émissaires.
L’absurdité de la guerre est résumée par la phrase de Pierre Desproges : « L’ennemi, il est con. Il croît que c’est nous l’ennemi. Alors que c’est lui ! ».
Mon seul ennemi, c’est ma propre lâcheté. Ma lâcheté à laisser faire, mon renoncement à tenter de foutre une raclée aux mauvais garçons, ceux qui bousculent leurs vieux et piquent dans le sac. Il faudrait pénétrer sur les plateaux de télévision, les déculotter, et leur mettre la fessée à l’antenne, ces menteurs, ces menteuses, avec humour, avec dérision. Quand un distributeur de billets de banque se fait défoncer sur le côté d’une manifestation, il faudrait mettre un nez rouge, chanter, danser, retrouver l’enfant qui pensait bien faire en conseillant les grands qui déconnaient trop. Il faudrait être inventif, à chaque instant.
Les politicards, les technocrates, les militaires de la Pref’, les cadres benêts des grandes entreprises obéissent à des codes et des lois qui n’ont rien à voir avec le bon sens qu’on trouve sur les marchés. Ils sont dans un autre monde, déshumanisés. Il faut les rosser, symboliquement. Sinon leur dérive totalitaire et tortionnaire ne cessera jamais de s’amplifier.
Je rappelle par ailleurs que ce sont aussi des étrangers et des sans-papiers qui ont libéré la France. Pendant que La Dépêche titrait en 1943 « Notes de Vichy : les nouvelles mesures contre les menées communistes et anarchistes », le chef militaire des FTPF en Île de France s’appelait Joseph Epstein, juif polonais : c’est un étranger et un sans-papier qui commandait ceux qui tuaient des « boches » dans les rues de Paris, incendiaient des entrepôts, détruisaient des trains. Et le 24 août 1944, c’est la « Nueve », 9ème compagnie de la 2ème DB du général Leclerc qui est entrée dans Paris : 150 Espagnols sur 165 combattants. Ces mêmes espagnols ont ouvert le défilé de la victoire au général De Gaulle sur les Champs Élysées le 25 août. Encore des étrangers.
À l’heure où des dizaines et des dizaines de rassemblements se programment partout en France ce jeudi 30 octobre, il me semble important d’inviter tout ce monde à réfléchir : les visages-pâles-masqués sont-ils aussi dangereux que certains voudraient le faire savoir ? La réponse appartient à chacun-e, nous ne percevons pas la même chose d’une même réalité. Personnellement, j’essaie de dire la réalité telle qu’elle est, et non pas telle que je voudrais qu’elle soit. Ce serait trop facile de trouver un bouc-émissaire précis à notre impuissance collective à enrayer l’évolution merdique des sociétés humaines. Mon seul ennemi, c’est ma propre lâcheté, ce sont mes croyances, cadenassées dans mon crâne.
Fuyons donc cette pratique du bouc-émissaire, ne cherchons pas d’autre ennemi que cette faiblesse intérieure qui nous pousse à être trop dociles quand on a toutes les bonnes raisons de se mettre en colère et de résister. Laissons s’exprimer notre rage. Avec calme et bienveillance.